les citations
fatigué, ‑ée adj.
Haute-Savoie, Savoie, Rhône, Loire (Rive-de-Gier), Isère (Vienne), Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Lot, Puy-de-Dôme fam. "(gravement) malade".
1. – Ce n'est pas croyable […], elle n'a pas l'air tellement « fatiguée », le docteur a dû se tromper.
L'infirmier l'a installée dans son lit, assise, maintenue par des coussins. (M. Donadille, Pasteur en Cévennes, 1989, 141.)
2. Ils [à Paris] sont malades. On [à Marseille] est fatigué. (« Marseille c'est pas la France ! » [1993], dans N. Roumestan, Les Supporters de football, 1998, 149.)
V. encore ici ex. 7.
— Surtout dans le syntagme bien / beaucoup (vieilli) fatigué. Le pauvre, il est bien fatigué, il n'en a plus pour longtemps (GermiChampsaur 1996).
3. Il laisse tomber sa tête sur le côté. Des larmes retenues font briller ses yeux.
– Il est beaucoup [= très] fatigué, dit Maria.
– Oui, je suis beaucoup fatigué, répète Ambroise.
Armande entend la plainte du vieil homme. (Th. Monnier, La Désirade, 1956, 220.)
4. […] le boulanger m'a dit que Mme Sirven était bien « fatiguée », ce qui signifie, chez nous, qu'elle est à l'article de la mort. Elle a quatre-vingt-cinq ans. (J.-P. Chabrol, Le Crève-Cévenne, 1993 [1972], 962.)
5. Ma grand-mère, elle, parlait peu [au lavoir du village], sinon, par convenance, pour demander des nouvelles de tel ou telle que l'on disaitbien fatigué, ce qui signifiait qu'il était sur le point de mourir. (Chr. Signol, Bonheurs d'enfance, 1998 [1996],159.)
6. Il téléphone à un collègue* […]. On lui confirme que Coulet est toujours de ce monde mais, comme on dit ici, il est bien fatigué. (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 121.)
7. La vie domestique [traditionnelle] est caractérisée par une stricte division des rôles entre hommes et femmes. […] Pour l'homme, ce serait déchoir que de participer aux travaux ménagers. […] Même « fatiguée » (malade), la femme doit tenir son rôle. « Si elle est bien fatiguée (très malade) et s'il n'y a pas de fille à la maison, c'est sa mère, sa sœur ou une autre femme qui vient faire le manger et s'occuper des hommes. » (R. Domergue, Des Platanes, on les entendait cascailler, 1998, 162-163.)

remarques. La quasi totalité des exemples est accompagnée d'un commentaire métalinguistique, ce qui indique la conscience du particularisme sémantique et de l'ambiguïté qu'il peut causer à un interlocuteur/lecteur non prévenu.
◆◆ commentaire. Attesté dans le français de Lyon dep. 1831 (« Fatigué s'emploie à Lyon dans le sens de malade, tourmenté, accablé par la maladie » Breghot, 65), cet emploi par restriction et litote euphémique de fr. fatigué "dont les forces ont diminué, par suite d'un effort, d'une affection de santé" (v. TLF) est en usage dans une aire compacte du Sud-Est ainsi que dans le Lot et le Puy-de-Dôme. Sauf omission dans les relevés régionaux récents (qu'expliquerait une forte légitimité de cet emploi), cette aire est en forte régression par rapport aux relevés du 19e s. et du début du 20e s., qui notaient cet usage – que son aire de dispersion désigne comme un archaïsme – également dans le français de la Brie, du Pays nantais, du Centre, de l'Isère et de la Saône-et-Loire ; il est aussi en usage au Sénégal (IFA 1988). Cet emploi n'est pas pris en compte dans les dictionnaires généraux contemporains.
◇◇ bibliographie. BreghotLyon 1831 ; JaubertCentre 1864 "malade, alité par suite d'indisposition" ; BourquelotProvins 1868 ; OffnerGrenoble 1894 ; PuitspeluLyon 1894 ; ConstDésSav 1902 ; Mâcon 1903-1926 ; VachetLyon 1907 ; ParizotJarez [1930-40] ; BrunMars 1931 ; RostaingPagnol 1942, 119 ; BonnaudAuv 1976 ; BouvierMartelProv 1982, 171 ; ArmanetVienne 1984 ; BouvierMars 1986 ; GuichSavoy 1986 « l'un des savoyardismes les plus courants » ; WalterLex 1986 ; BlanchetProv 1991 ; LangloisSète 1991 ; DuclosAlgérie 1992 ; ValThônes 1993 ; SalmonLyon 1995 (avec exemple de 1891) ; GermiChampsaur 1996 ; MazodierAlès 1996 ; RoubaudMars 1998, 81 bien fatigué ; BouisMars 1999 ; FEW 3, 434a, fatigare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Hautes-Alpes, 100 % ; Bouches-du-Rhône, Var, 80 % ; Alpes-Maritimes, Vaucluse, 70 % ; Alpes-de-Haute-Provence, 50 %.