les citations
bader v.
1. fam. Emploi intr.
1.1. Loire (Pilat), Isère (Vourey, La Mure), Drôme, Hautes-Alpes, Ardèche.
— [Le sujet désigne un inanimé concret]
"être distendu (d’un lien)". Si la corde bade, ça fait des à-coups (TuaillonVourey 1983). Tends bien la corde, il ne faut pas qu’elle bade (MartinPilat 1989).
"être trop large ; pendre (d’un vêtement)". Stand. bâiller, flotter. – Regarde mon ourlet : ça ne bade pas par derrière ? (ArnouxUpie 1984). Mon tricot bade ; j’ai mis trop de mailles sur le devant (MazaMariac 1992). Ce corsage est mal coupé, il bade au décolleté (GermiChampsaur 1996). Ferme-moi cette veste, elle bade (FréchetDrôme 1997).
"être ouvert (d’une porte)".
— [Le sujet désigne une personne]
spor. Drôme, Gard, Hérault, Lozère, Ardèche (Mariac), Creuse, Haute-Vienne, Dordogne "crier". C’est pas la peine de bader, j’ai compris ce que tu m’as dit (MazaMariac 1992). Qu’est-ce que tu as à tant bader ? (MazodierAlès 1996). – Aude, Gard, Hérault, Lozère "pleurer". – Limousin, Dordogne "vomir".
□ Avec un compl. d’obj. interne.
1. Sa mère, quand il était petit, élevait un cochon. Un soir, la voilà qui sort de l’étable en badant et gesticulant que son cochon venait de pondre […] des pièces d’or […]. (A. Yzac, Le Dernier de la lune, 2000, 181.)
Isère (La Mure), Hautes-Alpes ne plus pouvoir bader loc. verb. "être rassasié". Ce soir, je ne souperai* pas, on est allé manger des cerises sur l’arbre, je ne peux plus bader (GermiChampsaur 1996).
1.2. Au sud d’une ligne allant de l’embouchure de la Loire aux Hautes-Alpes (excepté Lyon, mais en ajoutant le Beaujolais)
"flâner en prenant son temps pour regarder ce qui se présente à soi". Ils ont maintenant [après avoir conclu leur affaire] le temps de bader dans la ville (G. Rey, La Montagne aux sabots, 1994, 167).
2. Dans l’avenue [de la Gare, à Nice], je badais, longuement, aux vitrines, devant les énormes fruits confits dans leurs berceaux. (J. Audiberti, Dimanche m’attend, 1965, 83.)
3. On allait à la foire pour faire les achats indispensables ou simplement pour « bader » et voir le mouvement. (L. Chaleil, La Mémoire du village, 1989 [1977], 85.)
4. À tout instant, elle s’arrête, prend du retard devant une vitrine, bade tranquille, heureuse, décontractée […]. (Y. Rouquette, La Mallette, 1994, 95.)
□ En emploi métalinguistique.
5. On se plaît aussi [sur le marché] à truffer les dialogues d’expressions idiomatiques plus ou moins perçues comme telles (« Bon je vous quitte, je vous laisse bader à votre aise » ; « Je vous les plie*, les œufs ? ») […]. (M. de La Pradelle, Les Vendredis de Carpentras, 1995, 331.)
"être bouche bée ; perdre son temps en regardant en l’air ; rester oisif". Stand. baguenauder, bayer aux corneilles, fam. regarder les mouches voler. – Il passe ses journées à bader (MédélicePrivas 1981). Dépêche-toi au lieu de bader (M. Peyramaure, L’Orange de Noël, 1996 [1982], 230). Débarrasse la table au lieu de bader ! (M. Clément-Mainard, La Fourche à loup, 1985, 55). Arrête de bader, fais donc tes devoirs (DucMure 1990). Mange, au lieu de bader (FréchetDrôme 1997).
6. – Alors on la boit cette petite bière ? Allez, Marcelle, sers-nous donc au lieu de bader comme cela ! (J.-M. Soyez, Le Créa, 1976, 254.)
7. La demoiselle de la maison, toute resplendissante de ses dix-huit ans […] dans une longue robe blanche […] qui moulait divinement son corps. / À cette vision, Monsieur, tout ce bon monde de bader ! (R. Blanc, Clément, Noisette et autres Gascons, 1984, 121.)
8. – On perd du temps à bader… Achève de décharger, vite ! (C. Tessier, Eugénie du Château-vert, 1988, 61.)
9. J’ai dit aux gars qui badaient debout autour des chaises de leurs femmes :
– Venez donc, en attendant monsieur le curé [pour la prière autour d’un défunt].
Ils ne se sont pas fait prier pour dégringoler les trois marches qui descendaient à la cave. (J. Syreigeol, Miracle en Vendée, 1991, 91.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
10. Parfois des romanichels qui campaient au bord du ruisseau venaient se faire servir. Vite, moi qui badais (bayais aux corneilles), ma cousine Raymonde me faisait passer dans la cuisine attenante. (P. Magnan, L’Amant du poivre d’âne, 1988, 66.)
2. fam. Emploi tr.
2.1. Loire, Drôme, Ardèche, Puy-de-Dôme (Thiers), Corrèze (nord) "ouvrir, entrouvrir". Bader la porte (DornaLoytGaga 1953 ; GoninPoncins 1984). Bade la fenêtre (FréchetDrôme 1997). Quand il a appris ça, il badait des yeux comme des soucoupes (PotteAuvThiers 1993).
Loc. verb. tr. dir. bader le bec ou tr. indir. bader du bec "être bouche bée". Les petits oiseaux affamés badent le bec (DornaLyotGaga 1953) ; Charente, Charente-Maritime bader de la goule* loc. verb. "id.".
11. – […] il fait si chaud que les corbeaux badent le bec […]. (M. Delpastre, Les Chemins creux, 1993, 455.)
● Au fig. "perdre son temps en regardant en l’air ; rester oisif". Stand. baguenauder, bayer aux corneilles, fam. regarder les mouches voler. Var. région. bader sa gorge (QuesnelPuy 1992). Synon. région. bader les mouches (KnoppSchülArg 1979).
12. – Tu vas pas te mettre à faire tes devoirs à l’heure qu’il est ? Mets plutôt le couvert. Toi, Flavie, au lieu de bader du bec, prépare la soupe et l’omelette ! (M. Peyramaure, L’Orange de Noël, 1996 [1982], 199.)
13. – Eh bien je m’en vais te le dire, même que [= même si] tu bades du bec avec les idées ailleurs, ça va te réveiller. (M. Clément-Mainard, La Foire aux mules, 1989 [1986], 250.)
2.2. Au fig. Au sud d’une ligne allant de l’embouchure de la Loire aux Hautes-Alpes spor. "s’absorber dans l’observation ou la contemplation souvent admirative (de qqn ou de qqc.)". Stand. fam. boire des yeux.
14. […] Tristement tu r’gardais / Les badauds qui te badaient […]. (Ch. Trenet, « Kangourou » (1961), dans Le Jardin extraordinaire, 1993, 344.)
15. Sentant la tête de sa Pitchote s’alourdir sur sa cuisse, le Papé* interrompit un instant sa besogne pour mieux la « bader ». (P. Roux, Contes pour un caganis, 1983 [1978], 79.)
16. Gardian*, c’était mal vu. Le dernier des métiers. Le gardian, on pouvait le « bader », admirer son adresse, mais on aurait empêché que son fils choisisse ce métier. (J. Durand, André Bouix, gardian de Camargue, 1980, 46.)
17. Les siens le reçurent avec étonnement tandis que ses frères et sœurs s’agglutinaient autour de lui, le badant sans mot dire. (R. Blanc, Les Amours de l’oncle César, 1986, 89.)
18. Il parla ainsi pendant près d’un quart d’heure. Ses auditeurs le badaient en hochant la tête. (Y. Audouard, Les Cigales d’avant la nuit, 1988, 85.)
19. Et le minot* continuait à me bader comme si j’étais Clint Eastwood en personne. (P.-J. Vuillemin, Les Contes du pastis, 1988, 73.)
20. – Moi, dit-elle, ce qui compte, c’est d’arriver [à destination]. L’entre-deux ne m’intéresse pas. Je ne suis pas badeusea.
C’est complètement inexact, elle est capable de passer des après-midi entières à « bader » les vitrines, mais personne ne relève. (Y. Rouquette, La Mallette, 1994, 51.)
a Ce terme semble un fait d’auteur, non lexicalisé.
21. À peu près à la même époque [vers 1920] le baron de Vignet se déplace dans une Renault […], sa longueur laisse tout le monde béat d’admiration : « Tout le monde la badait » (Lucie, dans R. Domergue, Des Platanes, on les entendait cascailler, 1998, 71.)
V. encore s.v. languir, ex. 6.
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
22. Elle voyait devant elle des petits garçons et des petites filles aux yeux brillants qui l’écoutaient la bouche ouverte, qui la « badaient » comme nous disons en Provence. (Y. Audouard, Les Contes de ma Provence, 1986, 131.)
Emploi tr. indir. bader devant (qqn / qqc.).
23. Dans sa vitrine [du boulanger], il y avait un peu de tout. Et les petits enfants venaient toujours « bader » devant, comme ils faisaient du temps de Jean. (R.-A. Rey, La Passerelle, 1976, 112.)
24. Il m’agaçait. Je le trouvais babart, autrement dit prétentieux. Voir mes compagnons bader devant lui me donnait le courage de le contredire […]. (G. J. Arnaud, Les Oranges de la mer, 1990, 51.)
V. encore s.v. campagne, ex. 6.
— Par restr. "regarder amoureusement qqn". Un petit vieux que sa vieille bade (R. Frégni, Le Voleur d’innocence, 1996 [1994], 49).
25. – Elle ? Son mari, elle le badait. On lui aurait fait la preuve par neuf [de son infidélité] devant les yeux, elle n’aurait rien vu. (Cl. Courchay, Le Chemin de repentance, 1986 [1984], 208.)
26. – Elle est bien bravette*, c’est un plaisir de lui rendre service…
– Et ce monsieur Laporte est un homme très sympathique.
– Tu as vu comme il la « bade » ?
– A sa place, on en ferait autant ! Elle est jolie comme un cœur. (M. Donadille, Pasteur en Cévennes, 1989, 11.)
27. « Ton grand-père était là qui me badait, et il m’a demandé si je savais faire la daube. J’avais, je sais pas, quatorze ans. Bien sûr que je sais faire la daube, qui sait pas faire une daube ! » (Témoignage de Th. G. sur son enfance, dans A. Roche et al., Celles qui n’ont pas écrit, 1995, 80.)
28. – […] Mais moi, je le trouvais beau, Venture, Bonaventure Carbone. Il avait trente-cinq ans, moi j’étais une gamine, il me plaisait, je le badais […]. (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 230.)
29. Elle reste bouche bée, comme piquée par la mouche galante. Bien sûr, il ne la voit pas, il ne sait même pas qu’elle est là, à le boire des yeux et l’avaler des oreilles. La Bordenave, la pauvre, elle aussi en est éprise, du matador. Elle passe son temps à le bader, cachée derrière un lampadaire ou une poubelle. (M. Albertini, Les Merdicoles, 1998, 48.)

◆◆ commentaire. Attesté dep. 1558 en français méridional (« etre ouvert ou bader » L. Joubert [né à Valence, professeur à Montpellier], L’Histoire des poissons de Rondelet, dans Gdf s.v. beer), mais indirectement déjà dep. 1532 (Badebec, nom d’un personnage de Rabelais dans Pantagruel), bader est caractéristique de la moitié sud de la France ; dans la partie septentrionale de son aire (zone francoprovençale et son pourtour, Centre-Ouest), le mot est exogène. C’est un emprunt de longue date à l’aocc. badar "ouvrir (la bouche, le bec) ; regarder, bouche béante" (LvP)a, cf. occ. badá "regarder ; écouter bouche béante ; admirer ; aspirer après qqc. ; être ébahi ; être ouvert, bâiller ; crier" (Mistral). Le français standard, quant à lui, a conservé trois issues du même étymon latin batare : bâiller et, dans des emplois figés, béer et bayer. Non pris en compte par la lexicographie générale contemporaine, bader a été abondamment relevé dans les glossaires régionaux ; méconnaissant son caractère de diatopisme, on l’a parfois considéré à tort comme un mot rare (RheimsMots 1969) ou argotiqueb.
a Lv donne un exemple du mot où le sens est indécis, "huer" ou "regarder (avec réprobation)" (« Haias honestz captenemens Si no vols quet bado las gens », Las Leys d’amors, ca 1350).
b Sa présence dans CellardRey 1980 (et son maintien dans CellardRey 1991) est une distraction des auteurs, que rend patente l’unique exemple, tiré du Provençal Y. Audouard.
◇◇ bibliographie. ConnyBourbR 1852 (2.1.) ; PépinGasc 1895 (1.2. et 2.1.) « signification toujours péjorative » ; ClouzotNiort 1907-1923 ; JoblotNîmes 1924 (2.) ; MussetAunSaint 1929 bader le bec/la goule ; BrunMars 1931 (1.) ; RostaingPagnol 1942, 125 ; SéguyToulouse 1950 (1.) ; DornaLyotGaga 1953 (1. et 2.) ; JouhandeauGuéret 1955, 177 (1.1. et 2.1.) ; RLiR 42 (1978), 158 ; GonthiéBordeaux 1979 (2.1.) ; KnoppSchülArg 1979, 143 bader les mouches "somnoler, rêver", Sézanne, Bordeaux, Narbonne (2.1.) ; DuclouxBordeaux 1980 (1.2. et 2.2.) ; ManteIseron 1980 (1.2.) ; MédélicePrivas 1981 (1.2.) ; OlivierMauriacois 1981 (2.2.) ; TuaillonVourey 1983 (1.) ; ArnouxUpie 1984 (1.) ; GononPoncins 1984 (2.1.) « vieilli, mais usuel pour plus de 60 ans, et encore compris de tous » ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; GermiLucciGap 1985 (2.1.) ; BouvierMars 1986 (2.2) ; GuichSavoy 1986 (1.2.) ; MartelProv 1988 (1.2. et 2.2.) ; MartinPilat 1989 (1.1.) ; SuireBordeaux 1988 (1.) ; DucMure 1990 (1.) ; BlanchetProv 1991 (1.2. et 2.2.) ; BoisgontierAquit 1991 (1.2.) ; CampsLanguedOr 1991 (1.1. et 1.2.) ; LangloisSète 1991 (1.2. et 2.2.) ; BoisgontierMidiPyr 1992 (1.2. et 2.2.) ; ChaumardMontcaret 1992 (1.2. et 2.2.) ; MazaMariac 1992 (1.) ; QuesnelPuy 1992 (1.2 et 2.1.) ; VurpasMichelBeauj 1992 (1.2.) ; ArmanetBRhône 1993 (2.2.) ; FréchetMartVelay 1993 ; PénardCharentes 1993 ; PotteAuvThiers 1993 (1.2. et 2.1.) ; PovArmCamarg 1994 (1.2. et 2.2.) ; CovèsSète 1995 (1.1. et 2.2.) ; FréchetAnnonay 1995 (1. et 2.1.) ; GermiChampsaur 1996 (1 et 2.) ; MazodierAlès 1996 (1.1. et 2.2.) ; FréchetDrôme 1997 (1 et 2.1) ; ArmKasMars 1998 (1.2. et 2.2.) ; PlaineEpGaga 1998 (1.2.) ; RoubaudMars 1998, 62 (2.) ; BouisMars 1999 (2.2.) ; MoreuxRToulouse 2000 (1 et 2.2.) « régionalisme inconscient » ; FEW 1, 283b et 286a, batare, transféré à bon droit FEW 22/2, 78-79 et 33a.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (tous sens confondus) Hautes-Alpes, Ariège, Aude, Aveyron, Charente, Charente-Maritime, Gard, Haute-Garonne, Gers, Gironde, Hérault, Landes, Lot, Lot-et-Garonne, Lozère, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Deux-Sèvres, Tarn-et-Garonne, Vienne, 100 % ; Tarn, 90 % ; Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, 80 % ; Var, 65 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, Vendée, 50 %. – ("bayer aux corneilles") Corrèze, 90 % ; Creuse, Haute-Vienne, 55 % ; Dordogne, 35 %. ("rester bouche bée") Creuse, 70 % ; Corrèze, 60 % ; Dordogne, 35 % ; Haute-Vienne, 30 %. ("crier") Dordogne, 50 % ; Creuse, 35 % ; Haute-Vienne, 15 % ; Corrèze, 0 %. ("vomir") Dordogne, 50 % ; Haute-Vienne, 15 % ; Corrèze, Creuse, 10 %.