les citations
escagasser v. tr.
〈Surtout Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales, Haute-Garonne, Aveyron, Lozère, Ardèche, Haute-Loire (Velay), Dordogne, Pyrénées-Atlantiques, Gironde (Bordeaux) fam. ou pop.
1. "causer un dommage physique à, mettre à mal". Stand. fam. écrabouiller, esquinter. Synon. région. espoutir*.
1.1. [L’obj. désigne un animé ou une partie du corps]
1. – On t’a causé à toi, gros lard ?
– Mais je suis libre de parler puisqu’on parle de la liberté !
– Et moi je suis libre de t’escagasser si tu parles ! (H.-Fr. Blanc, Jeu de massacre, 1993 [1991],16.)
2. – Qui t’a escagassé la figure ? Tu t’es battu ? (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 204.)
3. C’est connu : une grive, si on tire de trop près, on l’escagasse. (L. Merlo, J.-N. Pelen, Jours de Provence, 1995, 319.)
4. On était tous escagassés par le soleil. Même que le chien de la mère Contini s’est piqué une insolation. (Cl. Couderc, Le Petit, 1998 [1996], 63.)
5. Les Benoîtou ne perdent rien pour attendre, je vais l’escagasser cette poufiasse ! (M. Albertini, Les Merdicoles, 1998, 122.)
Emploi pron. réfl. Il s’est escagassé en faisant du moto-cross (MédélicePrivas 1981).
6. – Cette connasse, elle a mis […] du glissant dans l’escalier ! Pour que quand je les descends […], je tombe la tête la première et je me fasse une chute mortelle ! Vous vous rendez compte que j’aurais pu m’escagasser ? (M. Albertini, Les Merdicoles, 1998, 59.)
Au part. passé/adj. Je suis un peu escagassé par la chaleur (Ch. Blavette, Ma Provence en cuisine, 1984 [1961], 215).
7. – […] Figure-toi qu’hier je suis monté dans un olivier […], et puis je me suis réveillé par terre, tout escagassé. (M. Pagnol, Jean de Florette, 1995 [1963], 693.)
8. La Pitchoune se tient le côté des deux mains. Elle tombe sur la mousse. Elle dit :
– Je suis escagassée… (H. Abert, Le Saut-du-diable, 1993, 73.)
9. – Notez que ce n’est pas la première fois qu’on retrouve un homme escagassé sur des rochers… (P. Sogno, Le Serre aux truffes, 1997 [1993], 63.)
1.2. [L’obj. désigne un inanimé concret] Je ne tiens pas à escagasser ma voiture (Cl. Courchay, Quelque part, tout près du cœur de l’amour, 1987 [1985], 201). Je lui ai prêté mon vélo ; il l’a tout escagassé (FréchetMartVelay 1993).
10. […] le tonère a escagasé le gran Pin de Lagarète. Il reste plus que le Tron […]. (M. Pagnol, Le Château de ma mère, 1995 [1957], 221 [Lettre d’un écolier à son camarade ; graphie intentionnellement fautive].)
— Au part. passé / adj. Mes chaussures sont toutes escagassées, il est temps d’en acheter d’autres (GermiChampsaur 1996).
11. Ce mot d’épave me faisait venir des idées de bateaux tout escagassés, de noyés horribles […]. (G. J. Arnaud, Les Oranges de la mer, 1990, 14.)
12. Ma mère s’était acheté un chapeau magnifique, avec une grosse hirondelle […]. Finalement, mon père, il se lève et devine ce qu’on voit : le chapeau qu’il était assis dessus. Tout écrabouillé, le joli chapeau tout neuf. […] On est rentrés à pied parce que nombreux comme on était, le tram ça aurait fait trop cher. Tu nous vois traverser Marseille avec ma mère en folie et son hirondelle escagassée sur la tête ? Encore une brave* honte […] ! (R. Bouvier, Tresse d’aïet, ma mère, 1997 [av. 1992], 77.)
13. […] un chapeau en paille noire, un peu escagassé [en note : fatigué] où, désespérément, reste accrochée une grappe de fleurs défraîchies. (M. Fillol, Les Cigales chantent encore, 1999, 65.)
— Par anal. "altérer la nature de". Stand. dénaturer, gâter.
14. – […] ce poison qu’il faut que je pulvérise tous les soirs sur les œillets, pour les sauver de l’araignée rouge.
– Et pourquoi le soir ?
– Parce que c’est un remède qui craint la lumière du jour. La lumière, ça le défait, ça l’escagasse, ça lui enlève toute la méchanceté. C’est pour ça que souvent je me couche à minuit. (M. Pagnol, Manon des sources, 1995 [1963], 929.)
Emploi pron. à sens passif "s’effondrer, s’ébouler, s’affaisser". Cette pile de livres est en train de s’escagasser (CampsRoussillon 1991).
15. Une chambre à un lit, c’est tout ce qu’il lui [l’hôtelier] reste.
– Ça ne fait rien[,] dit mon père. On se serrera. Le lit est bon, costaud ? Il ne va pas s’escagacer [sic] ? (Y. Rouquette, La Mallette, 1994, 123.)
Au part. passé/adj.
16. La route est […] rassurante de laideur. Grise. Cimenteries escagassées, grands murs même pas tagués, avec les inscriptions au goudron vieilles vieilles, qui ressortent après la pluie […]. (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 7.)
V. encore s.v. caguer, ex. 14.
2. Par restr., emploi pron. réfl.
2.1. [Domaine concret] "se fatiguer au travail". Stand. s’éreinter, fam. s’esquinter, se tuer. – S’il croit que je vais m’escagasser pour dix francs de l’heure (MédélicePrivas 1981).
17. […] ils étaient pauvres, ils faisaient les marchés tous les matins entre la Treille et Carpiane sur les hauts de la ville, lui s’escagassait pour quelques centimes, elle s’était mise à faire des couffins, elle les faisait de travers alors ils ne se vendaient pas. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 38.)
— Suivi d’un compl. d’obj. précisant la partie du corps qui est fatiguée.
18. – […] c’est moi et l’ouvrier agricole qui faisons tourner la ferme et qu’on est toujours tout seuls pour s’escagasser les reins dans les champs […]. (G. Ginoux, Dernier labour au Mas des Pialons, 1994, 124.)
V. encore s.v. gisclet, ex. 3.
Au part. passé/adj. "très fatigué". Stand. fam. crevé. – J’ai bien besoin de vacances, je suis complètement escagassée (GermiChampsaur 1996).
escagassé de la toiture loc. adj. "qui a l’esprit dérangé". Synon. région. fada*, jobastre*. – Il est complètement escagassé de la toiture (P. Sogno, Le Serre aux truffes, 1997 [1993], 140.)
2.2. [Domaine abstrait] "se fatiguer". Stand. s’escrimer, fam. se tuer. – Je m’escagasse à vous répondre le plus clairement possible (MoreuxRToulouse 2000).
3. Au fig.
3.1. "mettre à mal le crédit, la réputation de quelqu’un". Stand. fam. éreinter.
19. Croyez-moi, ce n’est pas un Marseillais qui a inventé cette histoire, mais bien un étranger au pays qui nous aurait ainsi escagassés sournoisement. C’est peut-être même un Lyonnais. (Fr. Fernandel, L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 18.)
— En part. "battre (un adversaire) à un score écrasant". Stand. écraser, fam. rétamer. – Ils étaient trop forts pour nous, on s’est fait escagasser (Entendu en 1994 à Fontvieille [Bouches-du-Rhône], dans MartelBoules 1998).
3.2. "causer de l’ennui, de la fatigue à qqn". Stand. fam. casser les pieds, pop. emmerder. Synon. région. achaler*, faire flique*. – Tu m’escagasses avec tes histoire[s], ça m’énerve à la fin (QuesnelPuy 1995). Il m’escagasse avec ses raisonnements (MoreuxRToulouse 2000).
20. Le repas fut très gai. Comme ma mère s’excusait de ne pas lui offrir de vin, Bouzigue déclara :
– Ça ne fait rien. Je continuerai au Pernod. […] /
Je m’éveillai un peu hagard, et j’entendis à travers le plancher la voix paternelle. Elle disait :
– Tu me permettras de regretter qu’en ce monde, le vice soit trop souvent récompensé !
La voix de Bouzigue, devenue étrangement nasillarde, lui répondait :
– Joseph, Joseph, tu m’escagasses… (M. Pagnol, Le Château de ma mère, 1995 [1957], 288-289.)
21. Miquèu : Et vous croyez qu’on peut dormir !… Vous allez dormir, vous ?
Le Père Mayen : Avec un qui n’arrête pas de m’escagasser, ça m’étonnerait ! (Cl. Frédéric, On piègera la sauvagine, 1984, 26.)
22. – C’est le dromadaire qui a deux bosses, je te dis !
– Mais non, couillon*, c’est le chameau. […]
Vivi, qui est la meilleure élève de la bande, tranche, dédaigneuse :
– Vous m’escagassez, tous les deux. C’est un dromadaire, il n’a qu’une bosse. (Cl. Couderc, Le Petit, 1998 [1996], 205-206.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
23. De l’extérieur, on le [Raimu] trouvait lunatique et on ne comprenait pas toujours ses colères, mais lui, « ça l’escagassait » (l’épuisait) tous ces gens qui avaient envie de lui taper sur l’épaule en disant : « Bonjour César… Comment va Marius ? » (P. Brun, Raimu mon père, 1980, 145.)

◆◆ commentaire. Cet emprunt au pr. lang. escagassa "affaisser, écraser, déprimer, aplatir" (Mistral ; déjà Honnorat 1848), lui-même d’aocc. cagar "aller à la selle", est documenté dep. 1908 dans le français de Provence (« Ce bonhomme escagassé qui était devant nous » R. Andrieu, Sous le calen, 85, dans BrunMars). Caractéristique d’une aire compacte du Sud-Est, avec prolongements dans le Sud-Ouest (notamment à Toulouse et Bordeaux), escagasser appartient au registre familier et a perdu le caractère « grossier » qu’on lui attribuait naguère. Le terme, en emploi tr. et pron., est passé en fr. pop. (dep. 1902, Nantes, sens non précisé ; 1906, Brest « je suis escagassée [de travail] » ; 1906, Paris « s’escagasser au sprint », tous dans Esnault, Notes inédites [1950], IGLF) et en argot (dep. 1928 "assommer de coups", Lacassagne), où il est encore relevé (CaradecArgot 1977-1998 ; ColinArgot 1990 ; Ø CellardRey 1980-1991). Les dictionnaires généraux contemporains rendent compte de l’usage du mot dans l’un de ces domaines (Rob 1985 « régional (Sud-Est) de la France » ; Lar 2000 « région. (Provence) ») ou dans l’un et l’autre (GLLF « fam. et dialect. » et « fig. et fam. » ; TLF « Provence » et « au fig., fam. ») ; la base Frantext n’en offre aucune occurrence.
◇◇ bibliographie. JoblotNîmes 1924 escagassé ; BrunMars 1931 « mot grossier » ; RostaingPagnol 1942, 125 au fig. ; SéguyToulouse 1950 ; TennevinProv 1972 ; GebhardtOkzLehngut 1974 ; NouvelAveyr 1978 ; RLiR 42 (1978), 171 (Ardèche, Provence) ; RobinTournon 1979 ; DuclouxBordeaux 1980 ; MédélicePrivas 1981 « très courant ; […] langue familière » ; TuaillonRézRégion 1983 (Ardèche, Provence) ; GermiLucciGap 1985 « usuel » ; KellerRussoBéarn 1985 ; BouvierMars 1986 ; MartelProv 1988 ; SuireBordeaux 1988 « abîmer » ; CaprileNice 1989 être escagassé ; BlanchetProv 1991 ; CampsLanguedOr 1991 ; CampsRoussillon 1991 ; ChaumardMontcaret 1992 ; CouCévennes 1992 ; ArmanetBRhône 1993 ; FréchetMartVelay 1993 « connu à partir de 20 ans » ; FauconHérault 1994 ; FréchetAnnonay 1995 ; GermiChampsaur 1996 ; FréchetDrôme 1997 « globalement bien connu » ; ArmKasMars 1998 ; MartelBoules 1998 ; RoubaudMars 1998, 83 escagassé ; BouisMars 1999 ; MoreuxRToulouse 2000 ; FEW 2, 19b, cacare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Alpes-Maritimes, Aude, Gard, Hérault, Lozère, Pyrénées-Orientales, 100 % ; Hautes-Alpes, 75 % ; Bouches-du-Rhône, 60 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Var, Vaucluse, 50 %.