les citations
rester v. intr.
〈Surtout Nord, Picardie, Centre, Champagne, Ardennes, Vosges, Saône-et-Loire (Montceau), Haute-Saône, Jura, Haute-Savoie, Savoie, Isère, Haute-Garonne (Toulouse), Cantal, Puy-de-Dôme, Corrèze, Haute-Vienne, Aquitaine Souvent rural ou pop. "habiter, demeurer, loger". Rester en ville, à la campagne.
1. Je suis née à Belvès, dans le département de la Dordogne, et je restais dans la rue du Fort où mes parents tenaient une épicerie. (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 9.)
2. – […] je reste ici tout près, on va rentrer chez moi ? (A. Stil, André et Violine, 1994 [1964], 146.)
3. Tous ceux des environs savaient qu’elle restait seule au Peyroux, sans voiture, sans téléphone, sans radio, sans télévision, seule avec son ombre et son bétail. (J. Anglade, Une pomme oubliée, 1969, 104.)
4. Vous rentrez, vous êtes jeune homme, vous rentrez d’ travailler, vous restez dans un hôtel ; comme nous, j’ restais dans un hôtel où y avait que des maçons du coin de la Haute-Vienne. (Ancien maçon, 70 ans, 15 juillet 1971, commune de Rancon, Haute-Vienne, dans Ethnologia, 1978, n° 5, 25.)
5. Peux-tu reconduire la Jeannette jusque chez elle ? Elle reste pas loin de chez toi. (L. de La Bouillerie, Entre hommes et loups, 1983, 75.)
6. J’en r’viens pas qu’ j’ai rêvé à la Lulu. J’ sais pas où elle reste maintenant. (L. Semonin, La Madeleine Proust en forme, 1984, 12.)
7. Fallait continuer avec mes beaux-parents. Les deux filles […] sont venues au monde ici. Le jour même que Jean est parti [à la guerre] je suis allée rester de l’autre côté avec les deux petites. La grand-mère s’occupait des petites et à faire à manger. (Témoignage recueilli au début des années 50, dans J. Garneret, Vie et mort du paysan, 1993, 72.)
8. – […] il y a un moment que je vous ai plus vu ! Vous restez toujours au mas ? (G. Ginoux, Gens de la campagne au mas des Pialons, 1997, 50.)
□ En emploi métalinguistique.
9. En attendant de leur trouver une maison pour qu’ils s’établissent chez eux, ils resteraient – au sens limousin du terme : habiter – chez les parents du Piarrou. La date du mariage fut fixée et l’on se mit à préparer la noce. (F. Dupuy, L’Albine, 1981 [1977], 95.)
10. Il reste, comme on dit chez nous, derrière le bois de Châtaigniers de la Butte des coteaux. (G. Mercier, Le Pré à Bourdel, 1982, 20.)

remarques. Se conjugue toujours avec l’auxiliaire avoir.
◆◆ commentaire. Faire l’historique de cet emploi consiste d’abord, dans l’état actuel de nos connaissances, à faire l’historique du discours normatif grammaticographique et lexicographique qui l’accompagne depuis ses débuts – témoignant du même coup de sa vitalité. La première attestation du sens de "demeurer", qui représente en même temps la première attestation de son caractère régional, se trouve sous la plume de Vaugelas, qui l’attribue aux Normands : « Ainsi les Normands ne se peuvent deffaire de leur rester, pour demeurer : comme, je resteray icy tout l’esté, pour dire, je demeureray ; à cause que rester est un bon mot pour dire estre de reste, mais non pas en ce sens-là » VaugelasRem 1647, p. 137 ; son commentaire est repris par Rich 1680-1759 (« ce mot est emploié quelquefois pour signifier demeurer, mais dans ce sens il ne vaut rien. Une personne qui parlera bien ne dira jamais je resterai ici pour dire je demeurerai ici [renvoie à Vau. Rem.] ») et par Trév 1752-1771 (« Les Normands ne peuvent se défaire de leur rester, pour demeurer ; ils disent, Je resterai ici tout l’été, c’est mal parler. Vaug. On ne s’en sert guère que dans la conversation »). L’Académie prend toutefois ses distances par rapport à Vaugelas, et dans les deux premières éditions de son dictionnaire (1694, 1718), se contente d’une restriction de niveau de langue (« on ne s’en sert guere que dans la conversation », remarque reprise par les Trévoux, v. ci-dessus) ; il faut toutefois préciser que cette remarque ne concerne que le sens de "séjourner, demeurer quelque temps en un endroit", et non celui de "loger, résider". À partir de DesgrToulouse 1766, les Méridionaux viennent s’ajouter aux Normands à la liste des « fautifs », et le sens de "loger, résider" peut être déduit de l’exemple fourni : « rester pour demeurer est une faute commune aux Gascons & aux Normands […] ; on prend plaisir à Paris de demander aux Gascons leur demeure, pour les entendre dire, sans qu’ils y manquent : j’ai resté dans une telle rue […] ». Féraud 1788 cite Vaugelas, l’Académie et Desgrouais : « Vaugelas condamnait l’usage de ce mot dans le sens de demeurer ; mais l’Acad. l’aprouvait pour la conversation. […] Les Normands disent rester pour demeurer ; les Gascons le disent aussi dans ce sens, et même pour loger ». AnonymeHippolyteF ca 1800, VillaGasc 1802, RollandGap 1810, RollandLyon 1813, SajusLescar 1821, JBLGironde 1823, p. 120, ReynierMars 1829-1878, SievracToulouse 1836 et AvignonToulouse 1875 confirment l’existence de l’emploi dans le Midi. Le caractère régional du mot est ensuite occulté dans plusieurs sources : Besch 1845 « Quelques personnes l’emploient à tort pour Loger, demeurer. Il reste dans telle rue » ; Littré 1870 « C’est aussi une faute de se servir de rester au lieu de loger ou demeurer. On dit : Il demeure dans telle rue, et non : il reste dans telle rue » ; Lar 1875 « condamné par les grammairiens » ; DG 1899 « familier » ; GLLF 1977 « pop. » ; TLF « fam. ». BauchePop 1928 et CaradecArgot 1977-1988 le présentent comme populaire ou argotique, mais ne livrent aucune information sur l’origine des témoins qui leur ont fourni cet emploi. Le Paris de Bauche étant un creuset où se sont croisés et mélangés des provinciaux de tous les horizons, la valeur de cette attestation est toute relative. Cela dit, il est à peu près sûr que l’emploi devait s’entendre dans la capitale à cette époque. La lignée des dictionnaires Robert donne le mot comme provincial (Rob 1962), régional ou rural (Rob 1985 ; NPR 1993-2000), jugements basés semble-t-il essentiellement sur une citation métalinguistique de Proust. La citation en question n’est cependant pas facile à interpréter : la langue du personnage cité présente des traits béarnais, percherons mais aussi simplement populaires, v. StrakaProust 1993 (« Françoise disait que quelqu’un restait dans ma rue pour dire qu’il y demeurait, et qu’on pouvait demeurer deux minutes pour rester » StrakaProust 1993, 447). Brunot 3, 183 présente le mot comme « norm. selon Vaugelas I, 232 » et fournit un ex. de 1657, mais plus loin (Brunot 10, 279 et n. 3) il note à propos de quelques régionalismes : « Encore ces localisations n’ont-elles dans ma pensée rien de rigoureux, et on pourrait presque dire de certains mots qu’ils sont de partout. Je citerai […] "rester" (= habiter, demeurer) ». Or, peut-on dire que rester dans le sens qui nous occupe est « de partout » et que son emploi est partout limité à l’usage populaire ? Il semble que l’on doive répondre par la négative à ces deux questions.
Si l’on observe d’abord la représentation de l’usage à l’extérieur de la France, la situation varie beaucoup d’un pays à l’autre. En Suisse romande, le mot est très bien attesté dans les cacologies du 19e s. (1re att. déjà 1717, v. Pierreh) et semble encore courant dans le premier tiers du 20e s. (ibid.) ; or, dans l’usage actuel, le mot est devenu tout à fait inusité (une seule att. lexicale postérieure à 1950 dans le fichier de Neuchâtel ; inconnu des témoins). En Belgique, il serait « pop. ou vulg. gén. » d’après PohlBelg 1950, qui l’atteste dep. 1806 ; les grammairiens belges semblent refléter cette situation dans leur discours : « Rester, au sens d’habiter, de demeurer, de loger, est de la langue populaire [cite Littré, puis donne deux exemples littérairesa] » Grevisse 1980, § 1360 n.b ; « très suspect dans le sens d’"habiter" ; considéré alors comme vulgaire ou populaire ou régional par certains, il est au moins très familier » Hanse 1983. On ne sait pas si l’absence du mot (dans cette acception) chez MassionBelg 1987, FuchsBelg 1988 et Belg 1994 signifie qu’il est désormais suranné en Belgique, ou s’il a simplement été banni des nomenclatures parce que jugé comme relevant davantage du registre populaire que régional. Il est cependant possible que le discours puriste en ait finalement eu raison, comme cela semble avoir été le cas en Suisse romande. D’après une comm. pers. de M. Francard, le mot est « peut-être vieillissant, mais reste encore largement répandu en Wallonie ». Quoi qu’il en soit, le français d’Afrique noire, en partie tributaire du français de Belgique, connaît le mot et ne limite pas son emploi à l’usage populaire (v. IFA 1983-1988). Dans les différentes variétés de français d’Amérique, il est aussi très courant et guère senti comme marqué (GPFC 1930 ; DitchyLouisiane 1932 ; MassignonAcad 1962 ; Martinique, v. HanseNChasse 1974 ; BrassChauvSPM 1990 ; DQA 1992) ; v. aussi ChaudRéunion 1974.
Si l’on revient maintenant à l’usage des régions de France, les enquêtes 1994-96 donnent les résultats suivants, pour les régions où le mot a fait l’objet d’une question : plus de 95 % des témoins du Nord, de la Picardie, de la Champagne et des Ardennes connaissent le mot, 80 % à 90 % dans le Limousin, la Marche, le Périgord et le Midi aquitain, et 65 % en Berry et Bourbonnais. Malheureusement, les enquêtes ne nous apprennent pas à quel niveau de langue appartient cet emploi chez les locuteurs interrogés. Les glossaires de français régional consultés nous renseignent parfois sur la question, et permettent d’élargir la zone où le mot semble être attesté, en précisant même à l’occasion sa vitalité : cf. LagueunièreSéguier [Agde ca 1770] ; MolardLyon 1810 ; MulsonLangres 1812 ; PomierHLoire 1835 ; OffnerGrenoble 1894 ; PuitspeluLyon 1894 ; ClouzotNiort 1907-1923 ; VachetLyon 1907 ; BuléonBBret 1927 ; BoillotGrCombe 1929, p. 263 ; BrunMars 1931 ; MichelCarcassonne 1949, 13 ; NouvelAveyr 1978 « courant » ; GonthiéBordeaux 1979 ; OlivierMauriacois 1981 ; TuaillonRézRégion 1983 (Drôme, Puy-de-Dôme) ; WolfFischerAlsace 1983 (cite Noirmont 1948 pour rester à l’hôtel, ce qui n’est pas exactement la même chose que "habiter (en permanence)") ; RouffiangeMagny 1983 « rural » ; BouvierMars 1986 ; GuichSavoy 1986 ; SuireBordeaux 1988 ; RouffiangeAymé [Villers-Robert, Jura] 1989 « parler paysan » ; DucMure 1990 ; BoisgontierAquit 1991 ; CartonPouletNord 1991 ; TavBourg 1991 « sauf Bresse louhannaise » ; LangloisSète 1991 « langue populaire » ; SuireBordeaux 1991 et 2000 ; ChaumardMontcaret 1992 ; GuilleminRoubaix 1992 ; TamineArdennes 1992 ; BlancVilleneuveM 1993 « usuel, en déclin » ; DubuissBonBerryB 1993 ; DuchetSFrComt 1993 ; GagnySavoie 1993 « usuel » ; MartinVosges 1993 ; PénardCharentes 1993, 103 ; PotteAuvThiers 1993 ; ValThônes 1993 ; MartinLorr 1995 ; RobezMorez 1995 « courant dans le Haut-Jura » ; ValMontceau 1997 « encore bien [vivant] dans le Bassin Minier, à tous les âges » ; PlaineEpGaga 1998 « encore utilisé » ; RoubaudMars 1998, 41 et 72 ; SabourinAubusson 1998 ; BouisMars 1999 ; LesigneBassignyVôge 1999. Le mot serait aussi courant en Haute-Saône dans l’usage populaire (comm. pers. J.-P. Chambon). L’ensemble de ces attestations permet d’identifier différents cas de figure. On observe d’abord des régions où le mot est bien attesté et semble encore d’un certain usage à l’heure actuelle : Nord, Picardie, Champagne, Ardennes [régions formant une aire cohérente avec la Wallonie], Savoie et Isère, Berry, Bourbonnais, Périgord, Midi toulousain (MoreuxRToulouse 2000, 22 et 495) et aquitain. Il y a ensuite des régions où le mot semble être vieilli et même sorti de l’usage, s’étant peut-être incliné devant la pression puriste, comme ce fut le cas en Suisse romande : c’est ce qui semble s’être produit à Lyon, où les attestations de Puitspelu (1894) et Vachet (1907) ne sont pas confirmées par VurpasLyonnais 1993 ou SalmonLyon 1995 (ni, du reste, par MartinPilat 1989 ou VurpasMichelBeauj 1992). Dans l’Est, le mot semble surtout appartenir à la sphère rurale ou être restreint à l’usage populaire (Magny-lès-Aubigny, Côte-d’Or ; Villers-Robert et Morez, Jura ; Haute-Saône). Enfin, d’autres régions semblent l’ignorer presque entièrement, à l’exception de quelques attestations isolées. C’est le cas de l’Alsace et de la Lorraine (sauf les Vosges), de la Provence (mais cf. BrunMars 1931 et, ici ex. 8) et de l’est du Languedoc, de la région parisienne (si l’on fait abstraction de BauchePop et CaradecArgot) et de tout le grand Ouest, de la Normandie jusqu’aux Charentes (où il serait très vieilli)c. Cette situation est assez étonnante, si l’on considère que c’est d’abord aux Normands qu’a été prêté cet emploi (VaugelasRem 1647), et que c’est de l’Île-de-France et du grand Ouest qu’est partie l’immense majorité des immigrants qui ont peuplé la Nouvelle-France. Du reste, le type est bien attesté dans les parlers d’oïl occidentaux (v. FEW 10, 316b, restare 1 b). La pression puriste est donc parvenue à éliminer cet emploi dans le français des régions concernées, comme cela semble avoir été le cas en Suisse romande et dans le Lyonnais.
a J. Vallès [né au Puy, Haute-Loire], L’Enfant (1879) ; A. Chamson [né à Nîmes, Gard], La Tour de Constance (1970).
b Ce passage a disparu des éditions ultérieures.
c Relevé par BuléonBBret 1927, rester "habiter" est encore en usage aux alentours de Rennes : « Une jeune femme originaire d’un village près de Rennes me confirme vigoureusement cet emploi » (comm. de B. Moreux).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Aisne, Aube, Creuse, Gers, Landes, Nord, Pas-de-Calais, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Somme, 100 % ; Corrèze, 90 % ; Haute-Vienne, 85 % ; Allier, Cher, Oise, 80 % ; Dordogne, 75 % ; Indre, Marne, 65 % ; Gironde, 60 % ; Haute-Marne, Lot-et-Garonne, 40 % ; Loir-et-Cher (sud), 30 %.